Dans les Pays-Bas espagnols de la fin du XVIQ siècle, le torchon brûle
entre catholiques et protestants. Une Lilloise de légende, cabaretière de son
état, va sauver la ville des incursions calvinistes.
Nous sommes à Lille,
un jour du mois de juillet 1582. Sur le site actuel de la place aux Bleuets se
trouvent le faubourg de Courtrai, et le Château du même nom, bâti par Philippe
le Bel dans les premières années du XIVe siècle. La journée passe
tranquillement, les bonnes gens vaquent à leurs occupations dans la chaleur de
cette journée d'été.
Quand soudain... "- Pif ! paf ! pif ! Clac !, clic ! clac ! Boum !
Rrrran ! Tue ! tue ! Pille là ! Allez, sans quartier ! Tue, sans-dieu !
Godverdom ! Ville gagnée !"
Un récit du XIXe siècle, dont le nom de fauteur s'est perdu, raconte
comment les Hurlus - des protestants - attaquent ce jour-là, et une nouvelle
fois, Lille la catholique. « Ils barraient déjà la route de Menin, attaquant les
portes des censes à grands coups de hache, boutant le feu aux chaumes, le gros
de la bande tirant l'arquebuse de tous côtés, pour faire la panique. Les gens
épouvantés sortaient de partout, des maisons, des jardins, de derrière les
haies, et détalaient vers la poterne [ duchâteau ], les hommes emportant leur
saint-frusquin, les femmes traînant les mioches qui braillaient, le tout
poursuivi de près par les soudards ou rejoint de loin par les arquebusades. »...
Que faire, qu'opposer à ces «Hurlus» sanguinaires et très déterminés ? La
légende rapporte qu'une femme, Jeanne Maillotte, maniant avec fougue une
hallebarde, se rue au devant des envahisseurs. Jeanne Maillotte entraîne à sa
suite les archers de la confrérie de Saint Sébastien, qui un temps se sont
laissés surprendre par le coup de main, tout occupés qu'ils étaient à écluser
leurs chopes à l'auberge « Le Jardin de l'Arc ». Jeanne travaille d'ailleurs
dans cet établissement, sis également dans le faubourg de Courtrai.
 Les femmes du quartier se mettent bientôt de la partie, forçant les
assaillants à la retraite. Encore un échec pour eux. Lille, considérée. déjà par
Philippe II le roi d'Espagne comme sa « bonne ville », reste dans le parti
catholique. Si rien ne permet d'affirmer que Jeanne Maillotte a réellement
existé, en revanche les menées des Hurlus à Lille, dans le but de la faire
passer de leur côté, étaient nombreuses. Plus généralement, le XVIe siècle n'est
pas franchement celui de la concorde dans les Pays-Bas espagnols, déchirés par
les conflits religieux. Dans les territoires septentrionaux, Hollande et
Zélande, les « Gueux de la mer » ont pris le pouvoir, sous la bannière de
Guillaume d'Orange. Au sud, et notamment à Lille, l'autorité espagnole
résiste.
Cette confrontation religieuse, qui se double de rivalités politiques
entre les grands en Europe, se règle à coups de massacres, de séances de
tortures, de bannissements. On laisse aux « mauvais penseurs » la possibilité de
renier leur foi, s'ils veulent sauver leur tête. Un traité de paix signé à Arras
en 1579 n'a pas les effets escomptés entre les belligérants.
« Malgré la paix avec l'Espagne, les hostilités continuent contre les
révoltés. Le danger s'aggrave même pour Lille lorsque les Ecossais reprennent
Menin (...). A partir de cette ville, de Gand, de Tournai, les bandes
calvinistes, les Hurlus, menacent sérieusement Lille et peuvent ravager le
plat Pays. »(I)
C'est dans ce contexte que trouve place l'épisode de Jeanne Maillotte,
«héroïne lilloise » comme il est indiqué sur le socle de sa statue, érigée en
1936. Si Jeanne Maillotte est une héroïne de légende, elle symbolise en fait la
résistance des lilloises qui, à toutes les époques, ont défendu leur ville en
même temps que leur vie, contre les assaillants de tout poil.
Le chansonnier Desrousseaux a rendu hommage à la farouche lilloise : "...cheul cabar hère Méritot bien ch'l'honneur Car, comm' eun'
vrai' guerrière, Elle a moutré du coeur."

Enfin, suprême hasard, la mère du général De Gaulle se nommait elle
Jeanne Maillot. Les grands destins finissent toujours par se rencontrer...
(1) « Histoire de Lille », sous la direction de louis Trenard. Ed.
Privat
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