Les Brigittines de Lille

" Sorcières et possédées " du Docteur Georges Raviart

Extrait du livre "La sorcellerie et la justice en Flandre"

 (Christiaene et Michel LOOSEN - Foyer Culturel De l'Houtland, Steenvoorde - Edition de 1991)

( bibliothèque personnelle CVT)

 

" La démonomanie gagnera trois Brigittines de Lille, au début du XVIIe siècle.
Georges Raviart nous dit que : " ... de véritables épidémies de délire religieux troublèrent durant bien des années la tranquillité des couvents. A cette mémorable série appartient la possession des Ursulines de Loudun, en 1633, puis dix ans plus tard, celle des religieuses de Louviers ".


Fin l609 à Sainte Ursule, à Aix, Madeleine de Mandol se croit possédée " d'un grand nombre de démons ". Une autre Ursuline fera une déclaration dans le même sens. La vie religieuse astreignante d'exercices de piété et de jeûnes favorise l'éclosion de tels délires hystériques. Les convulsions et catalepsies des malades impressionnent les inquisiteurs et exorcistes, persuadés de la présence de Satan. Le prêtre Gaufridi victime des accusations des Ursulines, fut condamné à être brûlé à Aix en avril 1611.


Les Brigittines de Lille, influencées par les religieuses d'Aix, se croient à leur tour possédées. La suggestion du milieu est prépondérante. Elle finira par pousser Marie de Sains, du couvent des Ursulines de Lille, à s'avouer être la cause de tout les désordres.


Mise au cachot et interrogée de nombreuses fois elle sera bientôt en mesure de confesser tout ce que l'on veut. Ainsi rapporte encore Georges Raviart :


" J'ai abandonné au diable mon corps, mon âme, mes bonnes oeuvres, tout ce qu'une créature vivante peut offrir à son créateur. J'ai placé sous les accoutrements des nonnes, aux paillasses de leurs couchettes, un maléfice que le diable me confia, et qui devait causer l'extermination de la communauté. Ce maléfice fut inventé au sabbat par Louis Gaufridi.
   - nous retrouvons ici une réminiscence de la possession d'Aix - et il était composé avec des hosties et du sang consacrés, avec des poudres de bouc des ossements humains, des crânes d'enfants, du poil, des ongles, de la chair et de la liqueur séminale de sorcier, avec des morceaux de foie, de rate, de cervelle. J'ai administré aux filles de Sainte Brigitte des poudres débilitantes. J'ai tenté à différentes reprises de faire mourir la mère abbesse, ainsi que l'évêque de Tournay et tous les serviteurs attachés à sa personne. J'ai fait périr la gouvernante de Bapaume et un nommé Jean Bourgeois ".


Ici, vous le voyez, la malade s'accuse d'avoir fait périr telle ou telle personne. Cette auto-accusation que l'on peut observer au cours de nombre de psychopathies est probablement en rapport avec la mélancolie délirante. Tout à l'heure, nous verrons Marie de Sains s'accuser d'actes immondes et raconter des scènes d'origine évidemment onirique et hallucinatoire, mais il est des cas où l'auto-accusation obtenue des sorciers émanait directement, écrit Dupré, sans intermédiaire d'accidents hystériques ou vésaniques, de la suggestion impérative qu'exerçaient, dans leurs questions, les inquisiteurs hostiles et menaçants sur l'esprit débile et terrorisé des malheureux prévenus.


"J'ai fait avaler, ajoutait Marie de Sains, des poudres altérantes à la soeur Catherine et à la soeur Boulonnois ; au père Michaélis, des poudres qui agissent sur l 'estomac et sur le cerveau ; au père Doompt, des poudres qui engendrent une maladie pédiculaire ;... j'ai rapporté du sabbat des idoles de cire qui provoquaient les religieuses à la luxure ;... j'ai administré à soeur Marie Casselle, un maléfice de lubricité... ".  Elle reconnut aussi et confessa qu'elle avait occis plusieurs petits enfants et qu'elle les avait ouverts tout vifs afin de les sacrifier au diable, lui disant : J'offre corps et âme et tous les membres de ce petit enfant à toi, Lucifer, et à toi Beelzébuth, et à tous les diables.


Et elle ajouta qu'elle avait souvent eu au sabbat cohabitation avec des diables ; qu1elle y avait commis le crime de bestialité et sodomie ; qu'elle avait eu commerce avec des chiens, des chevaux, des serpents ; qu'elle avait adoré Louis Gaufridi, prince de la magie ; qu'elle lui avait aussi prodigué ses faveurs. Plus loin, elle avoue d'autres hallucinations, elle a vu Jésus, Saint Dominique, Saint Bernard.

A citer encore les commandements diaboliques :


" Ton père et ta mère haïras ; hommes, femmes et petits enfants occiras ; usures, larcins et rapines exerceras. Il y a du mérite à laisser mourir le pauvre de froid et de faim, à désenterrer les enfants et à les manger au sabbat, etc..."


Puis, Marie de Sains se dit enceinte de Satan. Déjà, ajoute-t-elle, elle a donné naissance à deux enfants : l'un d'eux a Gaufridi pour père ; ils fréquentent le sabbat et sont élevés par des démons. A d'autres moments moins troublés, nous voyons la malheureuse Brigittine fondre en larmes et faire de son état mental une analyse qui mérite de nous arrêter. C'est une chose affreuse, s'écrie-t-elle, d'avoir la connaissance de Dieu et de ne pouvoir s'abstenir de blasphémer ; de toujours donner la préférence au diable ; de s'évertuer sans cesse à inventer de nouveaux outrages pour offenser le créateur. Pourtant, elle prie par instants Dieu de lui venir en aide, de prendre possession de son âme, de remplacer par de l'amour la haine qui la ronge ; mais elle n'est pas exaucée, le démon qui l'écoute réplique que tout cela est inutile ; qu'il ne quittera point la place ; qu'elle ne fait qu'aggraver sa position, etc...


On reconnaît le délire de possession corporelle à base d'hallucinations internes ; il en résulte chez Marie de Sains un dédoublement de la personnalité et ce qui reste de la personnalité primitive s'évertue en vain à combattre et à faire taire la nouvelle. Dans la lutte entre la pieuse Brigittine et la possédée, cette dernière est victorieuse, car elle est servie par les troubles hallucinatoires multiples, et surtout par les associations obsédantes de contraste à contenu impie et obscène ; son pouvoir directeur affaibli est impuissant à les repousser du champ de la conscience."
Pire encore, Marie de Sains entraîna, par ses accusations, Simone Dourlet dans la déchéance.


Condamnée a être brûlée vive, cette dernière expira sur le bûcher place de Tournai. Une innocente, saine d'esprit, venait de payer le tribut à l'ignorance du temps. Comme on l'a vu elle n'était hélas pas la seule. Mais j'allais oublier de vous dire que Simone Dourlet avait quitté le couvent, s'était cachée et s'était mariée. Malgré cela le sort l'a poursuivie impitoyablement jusqu'à la mort.


L'inquisition n'étant pas terminée pour autant à Lille puis à Valenciennes où, de 1573 à 1672, dix-sept procès furent instruits."

" Sorcières et possédées " du Docteur Georges Raviart