" La démonomanie gagnera trois Brigittines de Lille, au début du XVIIe
siècle.
Georges Raviart nous dit que : " ... de véritables épidémies de
délire religieux troublèrent durant bien des années la tranquillité des
couvents. A cette mémorable série appartient la possession des Ursulines de
Loudun, en 1633, puis dix ans plus tard, celle des religieuses de Louviers
".
Mise au cachot et interrogée de nombreuses fois elle sera bientôt en
mesure de confesser tout ce que l'on veut. Ainsi rapporte encore Georges
Raviart :
" J'ai abandonné au diable mon corps, mon âme, mes bonnes oeuvres, tout
ce qu'une créature vivante peut offrir à son créateur. J'ai placé sous les
accoutrements des nonnes, aux paillasses de leurs couchettes, un maléfice que le
diable me confia, et qui devait causer l'extermination de la communauté. Ce
maléfice fut inventé au sabbat par Louis Gaufridi.
- nous retrouvons ici une
réminiscence de la possession d'Aix - et il était composé avec des hosties et du
sang consacrés, avec des poudres de bouc des ossements humains, des crânes
d'enfants, du poil, des ongles, de la chair et de la liqueur séminale de
sorcier, avec des morceaux de foie, de rate, de cervelle. J'ai administré aux
filles de Sainte Brigitte des poudres débilitantes. J'ai tenté à différentes
reprises de faire mourir la mère abbesse, ainsi que l'évêque de Tournay et
tous les serviteurs attachés à sa personne. J'ai fait périr la gouvernante de
Bapaume et un nommé Jean Bourgeois ".
Ici, vous le voyez, la malade s'accuse d'avoir fait périr telle ou
telle personne. Cette auto-accusation que l'on peut observer au cours de nombre
de psychopathies est probablement en rapport avec la mélancolie délirante. Tout
à l'heure, nous verrons Marie de Sains s'accuser d'actes immondes et raconter
des scènes d'origine évidemment onirique et hallucinatoire, mais il est des cas
où l'auto-accusation obtenue des sorciers émanait directement, écrit Dupré, sans
intermédiaire d'accidents hystériques ou vésaniques, de la suggestion impérative
qu'exerçaient, dans leurs questions, les inquisiteurs hostiles et menaçants sur
l'esprit débile et terrorisé des malheureux prévenus.
"J'ai fait avaler, ajoutait Marie de Sains, des poudres altérantes à la
soeur Catherine et à la soeur Boulonnois ; au père Michaélis, des poudres qui
agissent sur l 'estomac et sur le cerveau ; au père Doompt, des poudres qui
engendrent une maladie pédiculaire ;... j'ai rapporté du sabbat des idoles de
cire qui provoquaient les religieuses à la luxure ;... j'ai administré à
soeur Marie Casselle, un maléfice de lubricité... ". Elle reconnut aussi et confessa qu'elle avait occis plusieurs petits
enfants et qu'elle les avait ouverts tout vifs afin de les sacrifier au diable,
lui disant : J'offre corps et âme et tous les membres de ce petit enfant à toi,
Lucifer, et à toi Beelzébuth, et à tous les diables.
Et elle ajouta qu'elle avait souvent eu au sabbat cohabitation avec des
diables ; qu1elle y avait commis le crime de bestialité et sodomie ; qu'elle
avait eu commerce avec des chiens, des chevaux, des serpents ; qu'elle avait
adoré Louis Gaufridi, prince de la magie ; qu'elle lui avait aussi prodigué ses
faveurs. Plus loin, elle avoue d'autres hallucinations, elle a vu Jésus, Saint
Dominique, Saint Bernard.
A citer encore les commandements diaboliques
:
" Ton père et ta mère haïras ; hommes, femmes et petits enfants occiras
; usures, larcins et rapines exerceras. Il y a du mérite à laisser mourir le
pauvre de froid et de faim, à désenterrer les enfants et à les manger au sabbat,
etc..."
Puis, Marie de Sains se dit enceinte de Satan. Déjà, ajoute-t-elle,
elle a donné naissance à deux enfants : l'un d'eux a Gaufridi pour père ; ils
fréquentent le sabbat et sont élevés par des démons. A d'autres moments moins
troublés, nous voyons la malheureuse Brigittine fondre en larmes et faire de son
état mental une analyse qui mérite de nous arrêter. C'est une chose affreuse,
s'écrie-t-elle, d'avoir la connaissance de Dieu et de ne pouvoir s'abstenir de
blasphémer ; de toujours donner la préférence au diable ; de s'évertuer sans
cesse à inventer de nouveaux outrages pour offenser le créateur. Pourtant,
elle prie par instants Dieu de lui venir en aide, de prendre possession de son
âme, de remplacer par de l'amour la haine qui la ronge ; mais elle n'est pas
exaucée, le démon qui l'écoute réplique que tout cela
est inutile ; qu'il ne
quittera point la place ; qu'elle ne fait qu'aggraver sa position, etc...
On reconnaît le délire de possession corporelle à base d'hallucinations
internes ; il en résulte chez Marie de Sains un dédoublement de la personnalité
et ce qui reste de la personnalité primitive s'évertue en vain à combattre et à
faire taire la nouvelle. Dans la lutte entre la pieuse Brigittine et la
possédée, cette dernière est victorieuse, car elle est servie par les troubles
hallucinatoires multiples, et surtout par les associations obsédantes de
contraste à contenu impie et obscène ; son pouvoir directeur affaibli est
impuissant à les repousser du champ de la conscience."
Pire encore, Marie de
Sains entraîna, par ses accusations, Simone Dourlet dans la déchéance.
Condamnée a être brûlée vive, cette dernière expira sur le bûcher place
de Tournai. Une innocente, saine d'esprit, venait de payer le tribut à
l'ignorance du temps. Comme on l'a vu elle n'était hélas pas la seule.
Mais
j'allais oublier de vous dire que Simone Dourlet avait quitté le couvent,
s'était cachée et s'était mariée. Malgré cela le sort l'a poursuivie
impitoyablement jusqu'à la mort.