L'ABBE BEHAGUE ET L'AFFAIRE LOOTEN
"Ce sont les Annales du Comité Flamand
de France, Tome XXXVIII, qui ont mis la puce à l'oreille de nombreux chercheurs,
amateurs d'Histoire locale, intéressés par l'Affaire Looten.
En effet, un
passage de : Essai d'histoire d'une commune flamande « METEREN », par Monsieur
l'Abbé René Béhague, Doyen de Saint-Amand-Les-Eaux, publiée par le C.F.F en 1932
évoque pages 74,75 et 76, les péripéties d'un procès de sorcellerie, intenté
en 1659 à un marchand de bestiaux demeurant à Meteren, Thomas Looten.
«
Vers le milieu du XVII ème siècle, se manifeste en Flandre et en France, même à
la cour de Louis XIV, une recrudescence de sorcellerie ; ou plutôt les procès de
sorcellerie se multiplient. Des personnages très illustres comme le Maréchal
de Retz, y sont impliqués ; le bourreau de Dunkerque se vante d'avoir exécuté
«de sa propre main » 500 à 600 sorciers. A Meteren, un procès fut intenté en
1659, à Thomas Looten, marchand de bestiaux, âgé de 50 ans. Depuis quelque
temps, des bruits se chuchotaient dans le village ; on parlait de bêtes
ensorcelées, de maladies bizarres, de personnes qu'on avait dû exorciser,
surtout d'un jeune enfant mort dans des circonstances étranges ; on disait
que des sorts avaient été jetés ; on accusait Thomas Looten. Son gendre l'en
avertit un soir, dans un cabaret ; il refusa de prendre la chose au sérieux et
se contenta d'en rire. Mal lui en prit. Sur l'injonction des échevins, le bailli
Jean Van den Walle, dépose une plainte devant la Cour féodale de Bailleul. Le 22
septembre, Thomas Looten, saisi et garrotté, comparaît devant ses juges. Les
témoins, au nombre de 18, dont Jean Baryzeel, lui reprochent d'avoir jeté des
sorts sur des vaches qui crevèrent, ''ayant des signes certains d'ensorcellement
dans les yeux et aux dents », sur des femmes et des enfants rnalades ''les uns,
guéris par les exorcismes du curé, des pères capucins ou d'autres religieux, les
autres, restés malades malgré les exorcismes", sur des enfants "en leur
distribuant des prunes" et l'un d'eux, le fils d'Adam Wicaert en était mort. Ils
ajoutent que des crapauds, en sautant, faisaient cercle autour du feu et surtout
que Looten avait chez lui une boîte renfermant des vipères, des cheveux humains,
des écales d'oeufs. Looten reste ferme et calme devant ses juges. Il explique
plusieurs des faits, prétendus surnaturels, et nie énergiquement avoir été pour
quelque chose dans le décès de l'enfant Wicaert, comme dans la perte des
bestiaux. Il jure qu'il est innocent des faits qu'on met à sa charge.
L'instruction terminée, elle avait duré cinq jours, le tribunal fait visiter le
prévenu par l'officier criminel de Dunkerque, Noorman.
Noorman enfonce à
plusieurs reprises une épingle jusqu'à la tête entre les deux omoplates, sans
que le prisonnier en souffre et sans qu'il en sorte du sang; il déclare sous
serment que c'est bien là le stigma diabolique. Devant cette preuve juridique
et vu les dénégations formelles de Looten, le bailli de Meteren demande la
torture. La Cour l'ordonne. Looten la subit sans défaillance depuis 7 heures 30
du soir jusqu'à 3 heures du matin. Vaincu par les tourments, il fait quelques
aveux. Ils sont jugés insuffisants. La torture recommence. N'en pouvant plus, il
finit par passer les aveux suivants que la sentence enregistre :
1) Il
est sorcier depuis huit ans ; son diable s'appelle Karlakyn, est habillé de bas
verts, a les pieds petits, étranges et fourchus. C'est de lui qu'il a reçu le
signe dans le dos ; "en ce moment, dit-il, son émotion avait été si grande qu'il
en avait tremblé"; il a signé un pacte avec du sang tiré de son pouce par
Karlakyn.
2) A diverses reprises, la nuit de la St Jean et de la
Toussaint, il s'est trouvé au sabbat à Hondeghem, Steenvoorde, Ste Marie-cappel
et Blaringhem. Au milieu des orgies, le diable apparaissait sous les traits d'un
beau jeune homme, habillé avec luxe on l'adorait et chacun lui faisait une
offrande en déposant un patard sur son chapeau.
3) Il a reçu de l'argent
de Karlakyn, une fois au moins 18 livres de gros, avec lesquels il a acheté 4
vaches.
4) Son diable lui a donné un "onguent vert" avec lequel il se
frottait pour voler dans les airs, ce qu'il avait fait à Merris et à Hondeghem,
et une "poudre verte" pour ensorceler les bêtes et il en avait usé en maintes
circonstances.
5) Enfin Karlakyn l'a soutenu dans ses peines jusqu'à
mardi, jour où il l'a abandonné vers 9 heures du matin".
Condamné, Thomas
Looten est reconduit en prison. Le lendemain, vers huit heures, on le trouve
mort dans sa cellule et la sentence dit officiellement « le cou brisé par le
diable, ainsi qu'il a été justifié par la Cour". Le cadavre est traîné sur un
échafaud dressé sur le marché et, de là, transporté au Ravensberghe pour y être
exposé sur une roue, "afin de servir d'exemple(1)".
(1) Le peuple a, de
tout temps, cru aux sorciers. On y croyait en Flandre (Cf. Bertheaud, Légendes
surnaturelles de la Flandre) et la croyance y était entretenue particulièrement
par les récits entendus aux « veillées ». L'imagination populaire a peut-être
"créé" les sorciers mais ce sont les légistes qui ont créé le "fait juridique"
de la sorcellerie ; c'est leur code qui est le vrai responsable des exécutions
capitales et ce code, est-il besoin de le dire, n'est basé ni sur des données
religieuses certaines, ni sur des faits scientifiquement vérifiés. A remarquer
que notre brave Abbé Behague rejette la responsabilité du phénomène
"sorcellerie" sur le peuple, sans faire mention de la Bible et des arrêts des
papes ! A propos du "fait juridique" réprimant la sorcellerie, il était bien
d'ordre religieux avant d'être repris par les laïcs."
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