Sommaire des Chroniques

 

Le porion

 

Chronique du 4/02/2005

 

 

 

Ce mot, je viens de le rencontrer, là où je ne l’attendais pas, c’est à dire en terre franco-provençale, raison de plus pour en faire la vedette de la chronique de ce jour. Mais faisons un peu le tour de cet habitué des conversations nordistes ; en guise de raccourci, on pourrait imaginer la phrase suivante :

 

Ch’porion i faijot l’porion d’puis eine coupe d’heures dvin’mon del’ Phine, al étot parti accater des porions pou i faire eine flamique.. I l’avot caire, car, malgré ch’tiot porion qu’al avot su sin nez, al étot fin bellote.

 

Cette phrase montre qu’il existe - sans parler des nombreux termes argotiques liés au poireau (!) - au moins quatre sens différents pour ce terme si courant de notre littérature picarde.

 

1 - Porion : le légume

 

La tarte à porions : Dans ce plat typique du nord ( voir nos recettes !! ), on trouve le premier sens de ’  porion ‘ qui signifie ‘ poireau ‘. Les deux termes venant du latin ‘ porrum ‘

 

Porrum ( lat ) > porreau ( v.fr. ) > porion ( pic. )

Porrum ( lat ) > porreau > poireau

 

        Poireau est apparu dans la région parisienne, le passage de porreau à poireau s’étant probablement effectué par l’effet d’entraînement de poire

 

Porrum ( lat ) > porion : déjà utilisé dans Aymeri de Narbonne vers 1170

 

Voir aussi peut-être : ‘ porée ‘ ( soupe de légumes, soupe aux poireaux  )

 

 

2 - Porion ( pic. )  =  Verrue ou petite excroissance de chair  

 

Cette utilisation du terme porion ( ou de termes proches ), est beaucoup plus répandue que l’aire géographique du Picard, et semble indiquer que les deux termes utilisés pour le légume et pour la verrue ont des origines différentes, sinon, provenant d’une racine ‘ por’ ou ‘pur’ pré-celtique, antérieure à leur utilisation actuelle.

 

Pour ne donner que quelques exemples, on trouve ainsi le terme ‘ puron ‘ en Sologne, et le terme ‘ péron ‘ dans le Dauphiné ( langue-franco-provençale ), les deux termes signifiant aussi ‘ verrue ‘.

 

Comme très souvent, on retrouve des analogies en hydronymie et en oronymie ( voir la rubrique qui leur est consacrée ). Comme la verrue est une protubérance, on va donc retrouver des termes issus de la même racine en oronymie, par exemple, toujours en Sologne on retrouve ce terme de ‘puron’ pour désigner de petites éminences, et dans le Dauphiné, près de Serre-Chevalier, où des montagnes en forme de verrues portent le nom de ‘ prorel ‘ [ anciennement ‘ in porrensis ‘ ].

 

On ne peut s’empécher de penser aussi au perron d’une maison, qui de la même façon est une sorte d’emminence…et qui dérive de termes issus du vieux français, par exemple ‘ perrun  ( vers 1100 ) = bloc de pierre qui se trouve à proximité d’un palais et où le roi peur siéger ‘ ou ‘ peruns (1140) = bloc de pierre placé devant les maisons pour monter ou descendre de cheval’. On peut encore trouver ces mêmes termes, désignant, là où il en reste, ces rares survivants de l’ère du cheval.

 

Enfin, un vieux verbe me revient en mémoire, qui pourrait bien aussi provenir de la même racine, il s’agit de ‘ faire porette ‘ ou ‘ faire pourette ‘…. : action d’une poule, ou toute autre volaille, qui accroupie dans un sol meuble ( sable, cendres, etc… ) gratte le sol pour se faire un creux ( probablement confortable ! ) ou pour chercher une maigre pitance…. En ce faisant, elle produit de petits monticules autour du creux, ce qui pourrait, à mon avis, expliquer le terme.

 

 

3 - Porion : le contremaître

 

Porion  = terme courant utilisé ( en chti et en français ! ) à la place de contremaître dans les mines…on trouve ce terme utilisé pour la première fois à Aniche en 1775. On trouve aussi chef-porion : celui qui dirige tous les porions de la mine.

 

La provenance de ce terme est encore sujette à discussion, deux idées prédominent :

 

A ) Le contremaître, dans les mines, restait très longtemps à la même place, immobile, sans bouger, certains ont put dire qu’il avait l’aspect d’un poireau ( ?), d’où le nom donné à ce contremaître particulier : ‘ porion ‘. Ce sens serait donc identique à celui, utilisé pour désigner le fait d’attendre ou d’être innoccupé, en général devant la maison de quelqu’un qu’on attend….. : ‘ faire le porion ‘ ( voir ci-dessous ).

 

B ) Selon d’autres sources qui semblent plus documentées, ce terme ‘ porion = contremaître ‘ viendrait plutôt de l’italien ‘ caporione ‘ qui signifie chef ( capo ) de quartier ( rione ) puis plus tard ‘ chef de bande ‘ [ on peut retrouver ce terme dans Rabelais ]. Ce terme, sous l’influence du nom donné au légume, aurait été très rapidement transformé en ‘ porion ‘…

 

A. DE SAINT-LÉGER, Les Mines d'Anzin et d'Aniche pendant la Révolution, t.2, 1re part., p.22

 

 

4 - Faire le porion : Attendre

 

Faire le porion a son équivalent en français : ‘  faire le poireau ‘

 

L’expression picarde a peut-être ici été copiée ( à moins que ce ne soit l’inverse ) sur son analogue en français, et le sens doit bien être celui ‘ de rester planté comme un poireau ‘ c’est à dire, ne pas bouger, rester immobile, attendre…longuement. Ceci dit, pourquoi avoir choisi le poireau comme légume immobile ??!!

 

En français, un verbe a été crée : ‘ poireauter ‘

 

 

En guise de conclusion

 

Des quatre termes, il est probable que la deuxième définition soit la plus ancienne, probablement plus ancienne ( celtique ou pré-celtique ) que le latin ‘perrum’ qui nous a donné ‘porions’ et ‘poireaux’. La définition 4 est certainement antérieure à la définition 1. Quant à la définition 3, elle date des années 1770, mais le choix des versions A) ou B) demande encore à être précisé. Merci d’avance pour toute suggestion ou complément à cette étude.

 

Fernand Merchez - Chronique du 4/02/2005