Ce
mot, je viens de le rencontrer, là
où je ne l’attendais pas, c’est à
dire en terre franco-provençale,
raison de plus pour en faire la vedette
de la chronique de ce jour. Mais faisons
un peu le tour de cet habitué des
conversations nordistes ; en guise de raccourci,
on pourrait imaginer la phrase suivante
:
Ch’porion
i faijot l’porion d’puis eine coupe d’heures
dvin’mon del’ Phine, al étot parti
accater des porions pou i faire eine flamique..
I l’avot caire, car, malgré ch’tiot
porion qu’al avot su sin nez, al étot
fin bellote.
Cette
phrase montre qu’il existe - sans parler
des nombreux termes argotiques liés
au poireau (!) - au moins quatre sens différents
pour ce terme si courant de notre littérature
picarde.
1
- Porion : le légume
La
tarte à porions : Dans ce plat typique
du nord ( voir nos recettes !! ), on trouve
le premier sens de ’ porion ‘ qui
signifie ‘ poireau ‘. Les deux termes venant
du latin ‘ porrum ‘
Porrum
( lat ) > porreau ( v.fr. ) > porion
( pic. )
Porrum
( lat ) > porreau > poireau
Poireau
est apparu dans la région parisienne,
le passage de porreau à poireau s’étant
probablement effectué par l’effet
d’entraînement de poire
Porrum
( lat ) > porion : déjà
utilisé dans Aymeri de Narbonne vers
1170
Voir
aussi peut-être : ‘ porée ‘
( soupe de légumes, soupe aux poireaux
)
2
- Porion ( pic. ) = Verrue ou
petite excroissance de chair
Cette
utilisation du terme porion ( ou de termes
proches ), est beaucoup plus répandue
que l’aire géographique du Picard,
et semble indiquer que les deux termes utilisés
pour le légume et pour la verrue
ont des origines différentes, sinon,
provenant d’une racine ‘ por’ ou ‘pur’ pré-celtique,
antérieure à leur utilisation
actuelle.
Pour
ne donner que quelques exemples, on trouve
ainsi le terme ‘ puron ‘ en Sologne, et
le terme ‘ péron ‘ dans le Dauphiné
( langue-franco-provençale ), les
deux termes signifiant aussi ‘ verrue ‘.
Comme
très souvent, on retrouve des analogies
en hydronymie et en oronymie ( voir la rubrique
qui leur est consacrée ). Comme la
verrue est une protubérance, on va
donc retrouver des termes issus de la même
racine en oronymie, par exemple, toujours
en Sologne on retrouve ce terme de ‘puron’
pour désigner de petites éminences,
et dans le Dauphiné, près
de Serre-Chevalier, où des montagnes
en forme de verrues portent le nom de ‘
prorel ‘ [ anciennement ‘ in porrensis ‘
].
On
ne peut s’empécher de penser aussi
au perron d’une maison, qui de la même
façon est une sorte d’emminence…et
qui dérive de termes issus du vieux
français, par exemple ‘ perrun (
vers 1100 ) = bloc de pierre qui se trouve
à proximité d’un palais et
où le roi peur siéger ‘ ou
‘ peruns (1140) = bloc de pierre placé
devant les maisons pour monter ou descendre
de cheval’. On peut encore trouver ces mêmes
termes, désignant, là où
il en reste, ces rares survivants de l’ère
du cheval.
Enfin,
un vieux verbe me revient en mémoire,
qui pourrait bien aussi provenir de la même
racine, il s’agit de ‘ faire porette ‘ ou
‘ faire pourette ‘…. : action d’une poule,
ou toute autre volaille, qui accroupie dans
un sol meuble ( sable, cendres, etc… ) gratte
le sol pour se faire un creux ( probablement
confortable ! ) ou pour chercher une maigre
pitance…. En ce faisant, elle produit de
petits monticules autour du creux, ce qui
pourrait, à mon avis, expliquer le
terme.
3
- Porion : le contremaître
Porion
= terme courant utilisé ( en
chti et en français ! ) à
la place de contremaître dans les
mines…on trouve ce terme utilisé
pour la première fois à Aniche
en 1775. On trouve aussi chef-porion : celui
qui dirige tous les porions de la mine.
La
provenance de ce terme est encore sujette
à discussion, deux idées prédominent
:
A
) Le contremaître, dans les mines,
restait très longtemps à la
même place, immobile, sans bouger,
certains ont put dire qu’il avait l’aspect
d’un poireau ( ?), d’où le nom donné
à ce contremaître particulier
: ‘ porion ‘. Ce sens serait donc identique
à celui, utilisé pour désigner
le fait d’attendre ou d’être innoccupé,
en général devant la maison
de quelqu’un qu’on attend….. : ‘ faire le
porion ‘ ( voir ci-dessous ).
B
) Selon d’autres sources qui semblent plus
documentées, ce terme ‘ porion =
contremaître ‘ viendrait plutôt
de l’italien ‘ caporione ‘ qui signifie
chef ( capo ) de quartier ( rione ) puis
plus tard ‘ chef de bande ‘ [ on peut retrouver
ce terme dans Rabelais ]. Ce terme, sous
l’influence du nom donné au légume,
aurait été très rapidement
transformé en ‘ porion ‘…
A.
DE SAINT-LÉGER, Les Mines d'Anzin
et d'Aniche pendant la Révolution,
t.2, 1re part., p.22
4
- Faire le porion : Attendre
Faire
le porion a son équivalent en français
: ‘ faire le poireau ‘
L’expression
picarde a peut-être ici été
copiée ( à moins que ce ne
soit l’inverse ) sur son analogue en français,
et le sens doit bien être celui ‘
de rester planté comme un poireau
‘ c’est à dire, ne pas bouger, rester
immobile, attendre…longuement. Ceci dit,
pourquoi avoir choisi le poireau comme légume
immobile ??!!
En
français, un verbe a été
crée : ‘ poireauter ‘
En
guise de conclusion
Des
quatre termes, il est probable que la deuxième
définition soit la plus ancienne,
probablement plus ancienne ( celtique ou
pré-celtique ) que le latin ‘perrum’
qui nous a donné ‘porions’ et ‘poireaux’.
La définition 4 est certainement
antérieure à la définition
1. Quant à la définition 3,
elle date des années 1770, mais le
choix des versions A) ou B) demande encore
à être précisé.
Merci d’avance pour toute suggestion ou
complément à cette étude.
Fernand
Merchez - Chronique du 4/02/2005
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