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Le wez

 

 Ce terme m’est revenu en mémoire assez récemment. Il m’avait déjà interpellé, tout petit, quand j’allais à Arras, où ce quartier du Wetz d’Amain me paraissait porter un nom bien mystérieux qui me semblait alors très exotique. Plus tard, généalogie aidant, les multiples variantes du nom duhez avaient aussi éveillé mon subconscient, sans que je fasse le rapprochement avec le quartier précédent, et en plus, les Dhuez de mon village, où le nom est aujourd’hui disparu, avaient même laissé leur nom à un bois – le bois d’Dhuez – qui, à son tour, a donné son nom à une aire de repos de la portion d’autoroute Marquion-Fresnes-les-Montauban.

 

 

Un vieux terme picard, méconnu :

 

 

Et puis, il y a peu de temps, en ‘ révisant ‘ le patois de mon village, je me suis souvenu d’un terme qui désignait les grands abreuvoirs ou mares pour chevaux, genre de piscines rustiques constitué bien souvent de murs épais en forme de U, retenant un plan d’eau  dans lequel on allait faire baigner les chevaux…cette piscine pour chevaux, dont certaines existent encore dans nos villages, portait le nom de ‘ chué ‘, c’est tout au moins ce que je pensais jusque maintenant. Je le voyais écris comme cela car on disait : «   j’vas à’ch’chué «  ou encore «  Combien i’a d’chués din tin villache ??!! « , ce genre de phrases, faisait penser automatiquement à ‘ chué ‘ comme terme devant désigner ce genre d’abreuvoir. Une petite analyse montre en fait que ces abreuvoirs portaient encore en 1960, le nom de ‘ wez ‘ qu’on leur donnait déjà au moyen-âge, rien n’avait changé sauf le sens initial, et les phrases précédentes auraient donc dû s’écrire : «  j’vas a’ch’wez « et surtout : «  Combien i’a d’wez din tin villache !! « !!

 

 

Toponymie :

 

 

Hormi cette utilisation très particulière, ce vieux terme ne se trouve plus que dans certains noms de lieux-dits, sa forme ‘ wez ‘ est typique du picard qui ne l’a pas gardé dans son sens d’origine qui est ‘ gué ‘.

 

‘ wez ’ comme ‘ gué ’ vient du latin ‘vadum’ qui avait le même sens que ‘gué ‘ ( gué, bas-fond, barre, banc de sable ) . On trouvait en Italie plusieurs villes, dont le premier terme Vada signifiait gué [ ].

 

On ne trouve la forme ‘wez’ ou ses équivalentes que dans le nord de l’ancienne Gaule.

Soit dans des noms de villages :

 

Wez : Marne

Wez-Macquart ( Armentières)

Wez-Velvain ( Wallonie )

Wé : Ardennes

Vez (Oise) ( Vadum 1053 )

Woël : Meuse

 

 

utilisé avec des qualificatifs :

 

 

avec bonum (bon) à aubowez > auboué ( Meurthe et Moselle  )

avec magnum (grand) à manhoué : Moselle

 

soit dans des noms de quartiers ( mais il y en a probablement d’autres ) :

 

wetz d'Amain à Arras : place qui se trouvait sur le chemin d’Amiens ( d’où son nom ) et qui devait correspondre à un gué dans les temps anciens, elle marquait à peu près le croisement des deux grands axes routiers, l’un partant vers Amiens, et l’autre vers Cambrai.

 

Plus au sud, le ‘v’ de ‘vadum’ a plutôt évolué vers le ‘g’ [ ce qui est assez habituel nous le verrons ], pour donner ‘gué’ retenu par le français, ou ‘gua’ [ nom courant dans le Dauphiné ], et même d’autres variantes insolites comme celle que l’on peut trouver dans Saint André le Gaz ( prononcer ‘gua’ ) – petite ville située entre Lyon et Grenoble – où l’on chercherait longtemps la moindre trace de gaz !!!

 

 

 

Patronymes :

 

 

Et enfin, comme on l’a vu, ‘wez’ se retrouve dans les noms de personnes, avec ses nombreuses variantes possibles :      DUEZ, DUËE, DUÉ, DUHEZ, DUWEZ, DUWÉ, D'HUEZ ...

 

L’abondance du nom et de ses variantes est bien une indication de porteurs multiples à l’origine, toute famille ayant habité près d’un gué ayant pu être désignée sous ce nom.

 

 

Les ‘wez’ étrangers :

 

 

Mais ce n’est pas tout, comme le wez ou gué était l’endroit de passage préféré des cours d’eau, la plupart des chemins anciens passaient par ces gués, et le chemin lui-même prit le nom de wez…terme utilisé aussi par nos voisins anglais ( Rome était étendue ! ) et relouquée plus tard en ‘ way ‘ !!! Les amateurs de picard moderne, pourraient donc bien réutiliser ce ‘wez’ en lieu et place de ‘way’ partout où celui-ci est utilisé chez nous : des tramwez, des moteur wez, des souswez, et..’ mon wez ‘ pourrait nous revenir une deuxième fois, reprendre la place de ‘ comme d’habitude’ !!!

 

Plus généralement, vadum puis wez, proviennent certainement tous les deux d’un hydronyme beaucoup plus ancien, celtique ou préceltique qui présente toujours, plus ou moins, la racine ‘wad’, wade, ‘wat’ , vad, vado, vod, où l’on retrouve toujours la présence de l’eau, de mare, de petit étang, etc… Ces racines se retrouvent un peu partout en Europe du Portugal à la Grande Bretagne, de l’Italie à la Russie. Et, de la ‘ water ’ anglaise, à la ‘voda’ russe, agrémenté ou non de ‘ vodka’ , le voyage dans lequel nous a entrainé le modeste ‘wez’ vaut bien le déplacement !

 

 

Les faux-amis :

 

 

Emporté par ce ‘ wez ‘ finalement très prolifique, on pourrait être tenté de mettre DOUAI dans le paquet, mais on sent , quand même, une certaine différence, le ‘é’ terminal est ici écrit ‘ AI ‘ . La remarque est bonne, cette terminaison est l’une des très nombreuses déformations des suffixes ‘ acum ‘ ou ‘iacum ‘ présent dans 5% des noms de villages de France, suffixe latinisé d’un suffixe celte ‘ aco ‘ qui signifie quelque chose comme ‘ propriété  ‘ ou ‘ domaine de ‘ …Douai vient donc de Doiacum = domaine de Doüs, de même que Cambrai < Cambaracum ( domaine de Cambaros )

 

 

Rubrique du 18/02/2005