Sommaire des Chroniques

 

 

Le chêne et ses villages

 

 

 

Pour suivre le chêne à la trace, après que celui-ci soit disparu, il suffit de puiser dans les strates des noms de villages qui ont gardé celui-ci en mémoire, et comme les lieux-dits ont la mémoire longue….

 

Passons tout d’abord en revue les noms ( ou racines ) retrouvés de ce roi de nos forêts, en partant des plus anciens au plus récents.

 

Avant les gaulois, donc dans une langue pré-celtique, ‘chêne’ se disait ‘cassanos’, terme qui a été repris par les celtiques et nos fameux gaulois. Comme toujours, diversifiés par des apports extérieurs différents,  les nordistes, les centristes et les sudistes avaient leur façon bien à eux de prononcer les mots, c’est ainsi que :

 

        Dans le Nord :  cassanos > quesn..

        Dans le sud-ouest :     cassanos > cass

        Dans le reste de la France : cassanos > ‘che’ ou ‘cha’ sans localisation précise

 

On remarquera que le français a mémorisé le ‘s’ de ‘cassanos ‘ ou de ‘chesne’ en gardant, comme d’habitude en pareil cas, un accent circonflexe sur le e : ‘ chêne’.

 

De nombreux villages de France honorent ainsi cet arbre qui se trouve à l’aise partout sur notre territoire.

Chez nous, on va donc trouver des noms contenant ‘quesne ‘, terme qui, en picard, désigne toujours cet arbre. En espérant ne pas en oublier [mais vous êtes là pour accroître la liste ! ], on trouve donc :

 

  • Quesnoy ( 2 dans le 59, 1 dans le 62 et 3 dans le 80 )
  • Beauquesne 80
  • Le Quesne 80
  • Quesnel 60 et 80
  • Caisnes 60
  • Tortequesne 62

 

Les romains utilisaient le terme ‘quercus’, mais, les pauvres arrivaient trop tard, et nos forêts, déjà bien défrichées pour la plupart, ne les avaient pas attendus pour avoir déjà leur nom pré-celtique !! On trouve cependant quelques lieux-dits ou villages issu de ce terme latin, le Quercy par exemple ( région à chênes ) , Quercitello et Quercioli en Corse, mais aucun nom de ce type, à ma connaissance, en Picardie.

 

Heureusement, les romains connaissaient plusieurs espèces de chênes, et parmi eux, le chêne ‘rouvre ‘ qu’ils appelaient ‘robur’. Ce nom eu un peu plus de succès, probablement celui de la nouveauté, et quelques villages abandonnèrent leur nom pour celui-ci. Chez nous, seul Rouvroy ( pensez aux nombreux Rouvray ) doit être lié à ce terme. Ne pensez pas à Roubaix, il vient d’ailleurs !!

 

Et enfin vinrent les francs et autres peuplades germaniques dont on reparlera bientôt. Pour eux, le chêne se disait "eiche", que malgré leur arrivée tardive, ils arrivèrent à placer dans quelques villages du nord de la Gaule.

 

On trouve ainsi Eecke (59 ) et Ecques (62 ) et aussi des noms composés : Ecquedecques (62 ) ,  Ecquemicourt (62), Wardrecques (62 ), Blendecques, Eperlecques (62 ), Rebecques,  plus ceux, nombreux, que je dois oublier….dont Senlecques (62) que je découvre à l’instant sur une liste généalogique !!

Et sans oublier le Esch-sur-Alzette de nos voisins Luxembourgeois !

 

On remarquera que ces villages en Ecques, à quelques exceptions près, sont  situés dans des régions autrefois frontalières avec les anciennes provinces germaniques du Nord. Ceci est une indication de l’implantation très ancienne des avant-garde germaniques dans cette région.

 

Remarques

 

Cette première rubrique donne déjà de bonnes indications concernant ces études des noms de lieux.

 

1 – Les termes liés à la terre ( ici le chêne ) sont parmi les plus anciens qui ont été utilisés par les habitants de nos contrées, ces termes ont été généralement utilisés ( ou déformés ) par les différents envahisseurs et occupants qui n’ont jamais réussi à les faire disparaître totalement. C’est pourquoi la toponymie et surtout l’hydronymie et l’oronymie sont de bons détecteurs de racines anciennes

 

2 – Dans cet exemple on voit que le latin arrive trop tard pour modifier notablement le nom des villages, et pourtant, les invasions germaniques plus récentes semblent avoir laissé plus de traces….Cette contradiction concrétise en fait un aspect qu’il ne faut pas négliger, le Nord de la Gaule, bien avant les grandes invasions germaniques, était déjà occupé par quelques avant-gardes, et ceci depuis bien longtemps, les deux communautés – gauloises et germaniques – vivant en assez bonne entente. On verra sur quelques exemples, les conséquences pour le picard, de ce mélange avant l’heure des grandes invasions.

 

3 – Une dernière remarque enfin, d’ordre phonétique, elle concerne le passage :

 

de cass en ‘quesn’ chez les picards

de cass en ‘chesn’ dans le centre de la Gaule

 

cette différenciation est assez constante depuis toujours

 

        château / cateau/catiau

        cheminée/queminée

        cheval/queval, etc…

 

Cette différenciation trouvée sur les noms de lieux, montre sans ambiguïté que les ‘qu’ utilisés chez nous ne sont pas des formes patoisantes du ‘ch’ mais des évolutions différentes partant bien souvent, des mêmes racines.