Sommaire des Chroniques

 

 

 

De quelques termes en ' iau '

De nombreux termes picard présentent une terminaison en ‘iau’, cette terminaison pouvant, suivant les régions, se présenter de façon différente. Ainsi, si l’on prend le cas de ‘beau’, il pourra se dire : ‘biau’, ‘bieu’, ‘bièwe’,’bioe’,etc….Ces terminaisons sont presque toujours la marque d’un ancien ‘l’ qui a disparu, évolution phonétique assez fréquente liée au fait que le ‘l’ se forme dans la bouche dans une région où sa transformation vers le son ‘au’ se fait assez facilement……..La façon dont Georges Marchais prononçait ‘ scandale’ à ‘scandao ‘, de même que  la prononciation portugaise, peuvent en donner une certaine idée…

Cette évolution est aussi liée à un phénomène plus général, lié au fait que le langage, comme d’ailleurs tous les éléments du monde qui nous entoure est régit par une loi universelle que j’appellerai ‘ loi du moindre effort ‘, dit encore en physique ‘ loi du travail minimum ‘ ; en gros, les outils qui nous servent à parler ( cordes vocales, glotte, voile du palais, langue, etc… ) essaient de faire le moins d’effort pour prononcer un son, cela se traduit imperceptiblement par une déformation progressive de celui-ci, déformation qui dépend bien sûr de ces outils eux-mêmes, ‘ outils’ qui sont liés, en partie, aux races et à leurs mélanges. Bref, chacun a déformé les sons au cours des âges en fonction de ses instruments du langage, et c’est ce qui a fait que certains picards sont arrivés à ‘biau’, d’autres à ‘bièwe’ [ comme mi ! ] alors que le français moyen était arrivé à ‘beau’, mais bien sûr, aucun n’est ‘mieux’ que l’autre et seule la centralisation a tranché !!

Mais revenons à quelques exemples montrant cette évolution assez systématique du ‘l’ ( en général issu de termes latins )

Beau, biau ,bieu ,bièwe < bellus ( lat : surtout en parlant des femmes )

Noter que le picard, comme le français, utilise toujours ‘ belle ‘ au féminin, qui reste proche du latin.

Traces du ‘l’ : embellir, bellâtre, etc..et ..’ in tchiot bello ! ‘

Chapeau, capiau, capieu, capièwe < chapel ( vx. Fr. 1130 ) < cappellus ( bas latin av. 833  ) < bas lat . cappa ( chape, capuchon  ) < capidulum ( idem )

Traces du ‘l’ dans : Chapellerie, Chapelier, Chapelet [ vers 1200 ‘ couronne de fleurs ‘ puis notion actuelle de chapelet ].

Noter : la différenciation ‘ch’ en français et ‘c’ ( son ‘que’ ) en picard, ici le picard reste plus proche du latin ( cappa, capellus )

Veau, viau, vieu, vièwe < Vedel ( anc. Fr. début 12eme )puis veel puis veau (fin 12eme )

< vitellus ( petit veau ) < vitulus (veau)

Traces du ‘l’ dans : vêler, vélage, …

Et aussi  vers 1245 veeslin « peau de veau mort-né, plus fine que le parchemin ordinaire » d’où le vélin actuel.

            Noter aussi un homonyme typiquement picard  ‘ viau ’ qui se dit quand, dans un champ, les alignements ( de blé, de betteraves, etc.. ) présentent brutalement un ‘accident ‘, la ligne droite fait un ou plusieurs zigzags : ‘ le semeur a fait des viaux ! ‘. Par extension toute ligne imprécise porte aussi ce nom : ‘ em’coiffeusse al’ étot pas in forme, al m’a fait plein d’ viaux sur el’ tête !! ‘. Cette appellation est attestée depuis 1551[ « partie d'un champ labouré que le soc de la charrue n'a point atteint » les mottes ou veaus et lieus non labourés ); d'où 1842 « partie d'un champ où le blé n'a pas poussé « .

Et comme d’habitude, le ‘veel’ de l’ancien français, a été repris par nos voisins dans ‘veal’ !!

Peau, piau, pieu, pièwe < pel ( 1100 pel «membrane recouvrant le corps de l'homme et des animaux «  )

< Du lat. class. pellis «peau d'animal, fourrure, peau tannée, cuir, parchemin, enveloppe extérieure»

Traces du ‘l’ : pelisse, peler, pelade, pelure,  etc…

Agneau, agneu, agnèwe < Début XIIe s. agnel « petit d'une brebis »

< Empr. au lat. agnellus « petit agneau », dimin. du lat. agnus « agneau

Traces du ‘l’ : agnelle, agnelet, agneler

Tonneau, tonniau, tonnieu, tonnièwe < 1150 tonel < 1380 tonniou

< tonne 1283 « large tonneau »

< Du lat. tardif tunna, tonna VIIIe s. au sens de « vaisseau pour garder l'huile, le blé; jarre, tonneau

Traces du ‘l’ : tonnelle, tonnelet, tonnelier,…

Remarques : Tonneau vient peut-être de très loin et serait peut-être d’origine pré-celtique, tout semble montrer qu’il est issu de la racine pré-celtique ‘ tanno ‘ qui signifiait ‘ chêne vert ‘. Les tonneaux auraient pu, initialement, être faits avec cet arbre ? Mais une étude plus sérieuse semble indiquer un cheminement plus complexe :

‘tanno’ > ‘tonn’ ( peau en vieil irlandais ) > sac de cuir > outre pour le vin > tonneau

Ce cheminement qui part du chêne dont l’écorce servait à tanner les peaux, avec lesquelles on faisait des outres, remplacées plus tard par des tonneaux…est un bel exemple du jeu de piste auquel doit se livrer parfois l’éthymologiste pour retrouver l’origine des termes actuels.

Remarque : Chez nous, le terme ‘ tonne ‘ est toujours utilisé pour désigner un gros récipient ou réservoir servant à contenir de l’eau, en particulier, les citernes servant aux cultivateurs à transporter de l’eau pour les animaux ou des traitements dans les champs se dit souvent ‘ tonne à eau ‘. «  Quin qu’jétos tchiot, et qu’in juot à cache-cache, j’avos quère à’m’mucher d’in l’tonne à ièwe !! « 

Rateau, ratiau, ratieu, ratièwe < ratel

Traces du ‘l’ : rateler, ratelier,..

Couteau, coutiau, coutieu, coutièwe <Coutel, vers  1130 coltel « outil tranchant »

< lat. class. cultellus « petit couteau »

Traces du ‘l’ : Coutelas, coutellerie

Manteau, mintiau, mintieu, mintièwe < Fin Xe s. mantel «vêtement qui pend depuis les épaules jusqu'au dessous des genoux et que l'on met par-dessus tous les autres habits

< du lat. mantellum «serviette, voile», dimin. de mantum «manteau»

 < mantellum apparaissant déjà chez Plaute au sens de «voile »

Traces du ‘l’ : Mantelet

Château, catiau, catieu, catièwe < Fin Xe s. a. prov. castel « village fortifié

< vers 1100 plur. chastels « place fortifiée, citadelle »

< av. 1188 chastel « grande et belle demeure »

< du lat. castellum (diminutif de castrum « camp ») = « redoute »  puis en lat. médiéval  « citadelle » et « ville fortifiée »

Traces du ‘l’ : chatelain, chatellenerie, castel ( sud )

Même remarque que pour «’chapeau’ concernant la différenciation ‘c’ picard et ‘ch’ français.

Eau, iau, ieu, ièwe < vers 1050 egua « liquide inodore et transparent

< vers 1100 ewe (Chanson de Roland)

 < 1185 eaue « sécrétion liquide du corps humain »

< du lat. class. aqua

Ici pas de ‘l’ initial semble-t-il, mais une transition directe à partir du vieux français.

Chaud, cau, queu, quèwe < du lat. cal(i)dus « chaud » au propre et au figuré

Traces du ‘l’ : chaleur, calorifère, calorie, calorique, ….

Termes proches : peut-être liés à la même racine ?

Etre al’ couïette : être au chaud alors que dehors il fait froid.

Etre au coye, ou se mettre au coye : se mettre à l’abri pour se protéger de la pluie, du vent ou d’un danger…

Faite queuette : arrêter le travail un moment, se reposer..

 

 

Rubrique du 22/03/2005