Nous avons déjà
vu le passage du 'w' de wez
( nord ) en 'gu' de gué dans le reste de la France.
Nous allons voir que ce n'est pas là un cas isolé.
Plus généralement,
nous savons que le 'w' est peu utilisé en français, et il
n'est que de faire dire ' wassingue
' à un ' sudiste ' pour voir les difficultés qu'ont la plupart
des français à prononcer correctement cette lettre.
Ceci est une
très longue histoire. Les romains, déjà n'utilisaient pour
ainsi dire pas le ' w ', les
gaulois, eux-mêmes, n'utilisaient pas le 'w', de même que
le 'v', leur écriture faisait seulement apparaître des racines
du type ' uer.. ' qui par la suite furent traduites par '
ver.. ', c'est ainsi qu'est né notre grand Vercingétorix et
autres Verdun..etc..dont je parlerai plus tard.
La Gaule connut
donc des siècles sans 'w' que nos organes de la phonation
n'avaient jamais prononcé. Mais, progressivement, en
Picardie dès les II et IIIème s. puis à
plus grande échelle au Vème s., la Gaule dut
subir l'assaut des envahisseurs germaniques. Nous fûmes donc
les premiers à en sentir les conséquences, et surtout à cohabiter
avec ces envahisseurs, Francs pour la plupart. Refoulés, tolérés
en partie, ceux-ci s'installèrent plutôt près des marches
du pays, et c'est ainsi que, chez nous, la langue dû se faire
au parler si particulier de ces peuples germaniques. C'est
ainsi que pour le 'w', par osmose ou mélange ethnique aidant,
nos bouches s'adaptèrent peu à peu à cette nouvelle lettre.
Ce dût être probablement un traumatisme au début, car le 'w'
initial des francs nécessitait une articulation réellement
énergique non habituelle.
Pour le reste
du pays, moins en contact avec ces envahisseur, le nouveau
'w' fut très vite déformé, les phonéticiens expliquent très
bien comment un effort excessif vers l'arrière à
l'attaque du ' w ' entraine une fermeture ( l'arrière
gorge se ferme ) entrainant le passage du 'w' en 'gw' qui
à son tour se transforma en ' gu ' ; bref, le 'w' francique
était devenu un 'gu' bien français à part entière.
Pour la petite
histoire, il arriva même que certains termes en 'v'
latins, proches de termes presque identiques en francique,
subirent à leur tour la même mésaventure,
c'est ainsi que l'on assista, dès l'époque mérovingienne,
à des évolutions du type :
vadu ( proche
de wad franc.) > gwadu = gué ( déjà
vu).
vastare ( proche
de wostjan ) > wastare ( infuence germanique ) > gwastare
= gaster ( ravager, dévaster )
vespa ( proche
de wespa : fran. ) > gwespa = guèpe ( voir ci-dessous
)
Cette évolution
qui s'étendit même à des termes typiquement
latins dont l'exemple le plus frappant est vagina ( sens de
gaine, fourreau, étui ) qui se transforma purement
et simplement en gaine, l'écriture ancienne étant
cependant gardée dans vagin avec un sens un peu plus
savant !
Mais faisons
un peu le tour de ces évolutions du ' w ' , qui, a de rares
exceptions, ont marqué la Picardie elle-même.
Warde
- garde et apparentés
De nombreux doublets
franco ( gu ) - picard ( w
) proviennent d'une racine francique, sinon encore plus ancienne,
que l'on trouve souvent sous la forme ward
ou wart, racines qui sont
ensuite passées dans la plupart des langues germaniques et
les termes que l'on va voir, se retrouvent, avec approximativement
les mêmes sens en allemand, en hollandais ou en anglais. Ces
racines ont ainsi donné :
warjan
( fran. ) = protéger Du germ. *warnjan « prendre garde à quelque
chose »
warda
( fran. ) = garde puis tour de garde puis forteresse
warton
( h. all. ) = regarder vers
warnôn
( a. h. all. ) « avertir, protéger »
warten
( h all. ) = regarder, se garder de, prendre soin de
waerden
( v neerl. ) = veiller sur, monter la garde, se garder de
Dans toutes les
langues romanes les termes issus de ces racines ont eu ces
deux sens, soit de regarder, soit de proteger..
En picard ( warder
) comme en français ( garder ) le sens de regarder s'est perdu,
remplacé en français par regarder ou esgarder ( égard )et
en picard par notre fameux raviser...
néanmoins, le ' wétier
' picard qui signifie regarder [ ar'wète
un peu ch'ti là ] vient aussi probablement
de ces mêmes racines : watier,
wétier, vaitier = gaitier = guetter = observer
Warder
( warde ) = garder ( garde )
Warder
est resté vivace dans quelques endroits de la Picardie [
Adon, ches tchiots i wardottent ches vaques ].
Pour vous en convaincre, vous pouvez même trouver sa conjugaison
sur le site de nos amis Ches Diseux d'Achteure :
http://ches.diseux.free.fr/verbe1.htm
Comme dérivé
de warder on trouve : eswarder
> esgarder > regarder et aussi esward
> esgard > regard et égard
On retrouve ces
termes communs dans quelques toponymes comme
Lewarde ( 59 ) et Lawarde
(80), Eswars (59) et peut-être
d'autres villages ou lieux-dits du nord de la France. Tous
ces lieux étaient des endroits où se situaient des postes
de garde ou de guet.
Warrant
et garant
Issus aussi
de warjan, on trouve les verbes warir ( pic ) et garir
( vx. fr. ) qui signifiaient protéger préserver, garantir,
ce dernier verbe étant aussi pris avec le sens de ' désigner
quelque chose comme vrai '. Ces deux verbes ont totalement
disparus, probablement a cause des confusions possibles entre
garir et guérir, mais leurs participe présent est resté dans
les termes warrant et garant :
warrant
= Billet à ordre endossable constituant la mise en gage de
marchandises qui garantissent un emprunt contracté par leur
propriétaire, qui s'en dessaisit par dépôt dans les magasins
généraux.
Warrant se retrouve
chez nos voisins anglais avec des sens assez proches.
garant
est cité dès 1100 : guarant « personne qui certifie la vérité
de quelque chose, qui répond de quelque chose » et vers 1260
« personne qui porte la responsabilité de quelqu'un, qui est
caution d'une autre personne »
garant
> garantie
garnison
et guérite
Garir
> garnir avec les sens successifs fin Xeme s. garnir
quelqu'un contre quelque chose. « avertir, mettre en garde
quelqu'un (contre) » vers 1119 soi garnir « se tenir sur ses
gardes » vers 1100 guarnir ( une tour ) « occuper un lieu
pour le défendre » et vers 1260 un nouveau sens : orner .
Le sens initial
de garnir ( occuper un lieu pour le défendre ) a donné garison
puis garnison ( fin XIeme ) ainsi que garite
puis guérite, les deux termes signifiant défense et
protection contre les attaquants ( garnison ) ou contre les
intempéries ( guérite ) !
warennes
et garinos
Formé
avec wardon = garder et par croisement avec le pré-latin vara
= eau le terme warenna a désigné un endroit
ou l'on garde le gibier et le poisson, où il est interdit
de chasser ou de pecher. Ce terme a donné warennes
en picardie et plus tard garenne en français.
On trouve encore
un peu partout en Picardie des lieux-dits appelés '
warennes ' et ces endroits sont encore bien souvent
assez giboyeux.
Pour revenir
à garenne, notons un amusant aller-retour, garenne ayant donné
chez nous le nom commun ' garino
' qui signifie lapin de garenne, c'est a-dire lapin sauvage.
Avant la myxomatose, les garinos pullulaient dans certaines
' warennes ', je me souviens en avoir vu plus d'une centaine
réunis à l'orée d'un bois, le bois du Vert à Boiry, qui va
d'ailleurs bien me servir de transition !!
Vert
< verd < warde
Vous avez en
effet peut-être remarqué le nombre relativement important,
surtout chez nous, de ' rue verte
' ou de ' chemin vert
', et chacun de nous de réver au bon vieux temps où la nature
avait encore le dessus avec ses gazons et feuillages verts...pour
ma part, ma rue natale était justement une ' rue verte' et
à quelques pas de chez moi se trouvait ' le chemin vert' ;
à Sailly, autre village de ma famille, il y a aussi une rue
verte, appelée rue ' Verde
' sur les actes paroissiaux....cette orthographe aurait dû
me mettre la puce à l'oreille...ce n'est que récemment que
j'ai fait le rapprochement de tous ces ' vert ' ou ' verte
' ou ' verde ' avec notre verbe ' warder ', et ce rapprochement
m'a effectivement été récemment confirmé
; il s'agit dans la plupart des cas d'endroits ( chemins,
rues, bois,etc.. ) d'où l'on pouvait surveiller les alentours.
Si vous connaissez de tels endroits essayez d'imaginer quelle
était leur position stratégique dans les temps anciens.
Warou
- le loup garou et warouler
Après
ces nombreux termes issus de la notion de warde = garde passons
à un terme typiquement picard : warou
.
Warou qui a
donné garou en français, vient du du bas francique
wervolf
werwolf
< wer ( homme ) + wolf
( loup ) = homme loup
werwolf
> warou ( par déformation
phonétique )
Le mot fr. loup-garou
contient donc deux fois la notion de loup car on ne saisissait
plus la notion de loup dans garou.
En picard, le
terme warou est resté,
assez vivace même, mais avec un sens assez différent, il est
( était ? ) utilisé dans des phrases du type :
eh
bin warou, t'as des rudes bettrafes ch't'année !!
eh
bin warou, i s'est bien débrouillé ...
en général, ce
terme marque l'étonnement ou l'admiration...
Warou a donné
en picard le verbe warouler
[ du'qu'ch'est qu'té waroulle toudis
? ] qui signifie vagabonder ( probablement comme
le loup garou ! ) avec certaines variantes françaises
assez proches qui pourraient en être issues, comme vadrouiller,
aller à la vadrouille...
Pot
pourri de 'w' picards ou nordiques, transformés en
' gu '
Wivre = guivre
: serpent javelot fleche ...auxquels se rattachent vipère
et....le jeu de guise
( joué en picardie ) : pour les jeux picards voir :
http://www.vignacourt.free.fr/jeux.htm
warlou
= berlou .. voilà
deux termes utilisés chez nous pour parler d'une personne
qui louche, parfois, le berlou
se transforme en bellou.
Le mot français berlue ( avoir la berlue ) vient
d'ailleurs probablement de ce terme. Au niveau des noms de
personnes, les généalogistes connaissent certainement
le patronyme nordique de Warlouzet
qui désignaient à leur création, une
personne qui louche...à moins que, ce n'est pas tranché,
il ne s'agisse d'un patronyme composé à la manière
de Warlus ( 62 et 80 )
, Warluis ( 60 ) , Warluzel
( 62 ) , etc.. sur les deux racines water ou wasser
( eau ) + lucus ( endroit, lieu ) c'est à dire endroit
près de l'eau, auquel cas les Warlouzet auraient été
des personnes habitant près de ces endroits.
wihot
et probablement guihot se disait dès le XIIeme
s des maris ( wihot ) ou des épouse ( wihote ) trompés
par leur conjoint...Au niveau des patronymes on trouve les
homologues wuilliot (
nord ) et guillot ( sud ) qui ont probablement cette
origine, mais..très lointaine !
wautier
= gautier ... viennent du fran. wald ( galt ou gal en v. fr.
) ( 1-qui gouverne ou 2- homme des bois ) + hari ( homme important,
armée.. ) avec de très nombreuses variantes
wattier, wouters, walter, vautrot, gaultier, gauthier, galtier,
et même gaudin, etc...à ne pas confondre avec...
wantier
= gantier où wantier
est l'ancien terme picard désignant un gantier. Seul
reste chez nous le patronyme Wantier
ou Wantiez bien connu.
vindas = guindas
= treuil, grue ... qui a donné guindeau
verpil = golpil
= renard ...goupil est resté longtemps en français,
quant à verpil on le trouve encore dans quelques toponymes,
très loin de la picardie, comme à La Verpillière
(!) entre Lyon et Grenoble.
vaster = gaster
deux termes ( voir introduction ) qui nous permettent de comprendre
les liens unissant devaster, devastation, gacher, gater, gachis,
etc..
wepe
( voir introduction ) = guêpe encore un terme
typiquement picard utilisé pour guêpe, avec un
regain d'utilisation grâce au Web (!) qui a vu fleurir
de nombreux sites aux noms très proches. De la même
famille : la ' vespa ' d'antan qui nous trainait si
bien ! Le toponyme Wepe
existe aussi. Ne pas confondre wepe avec la région
des Weppes dont le nom a pour origine ad vesperem (
lat. ) = au couchant, à l’ouest ( sous-entendu : de Lille
).
wastil
( fran. )
= nourriture
> watiau ( ou
wastel ) = gateau ( ou gastel ) ...le watiau était
notre gateau, avec peut-être quelques patronymes patissiers
(?) tels que Wastiaux
et Wattel qui sont deux
noms du nord.
Rubrique du 8/04/2005
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